Association dédiée à l’entraide du monde Agricole

Le jardin potager

Le jardin potager

La Confrérie Saint Fiacre souhaite redonner ses lettres de noblesse au jardin potager en encourageant sa création ou bien sa mise en valeur dans des lieux où, historiquement, il avait également une vocation ornementale.  

Il faut rappeler que le potager est le parent pauvre de l’histoire du paysage.
Les ouvrages publiés dans ce domaine portent le plus souvent sur des paysages aménagés de pur agrément à l’époque médiévale et moderne. Le potager semble être un jardin commun présentant peu d’intérêt face à un jardin baroque ou bien anglo-chinois. On ne parle jamais de jardin sensible ou bien de jardin de l’intelligence pour qualifier le potager, expressions pourtant consacrées pour qualifier les jardins au XVIIème siècle notamment.

Rappelons-nous tout d’abord la définition du mot jardin, révélatrice de l’importance du potager au cours de l’histoire. C’est avant tout une référence biblique, celle du jardin d’Eden, qui est un verger fruitier certes, mais aussi un potager. La consommation de viande n’apparait seulement qu’après le déluge, et est mise en relation avec la dégradation du statut de l’homme. Il y a donc un lien direct, judéo-chrétien, établi entre le potager et le thème de l’âge d’or. Le terme de jardinage, lui, apparaît aux XVII et XVIIIème siècles dans l’expression « plat de jardinage » désignant des plats composés de légumes du jardin. On le trouve aussi employé pour qualifier les traités de jardinage du XVIIème siècle portant sur la culture des végétaux plus que sur l’organisation des beaux parterres.

Le jardin potager alors n’est pas seulement un jardin de production mais aussi un jardin d’agrément. Dans les baux parisiens du XVIème siècle, la location du jardin offre la possibilité de se promener parmi des plantes aromatiques chargées d’apporter senteurs et couleurs. À Versailles, entre les XVII et XVIIIème siècles, le potager du roi est un jardin qui se visite, organisé autour de différentes pièces, jouant sur la perspective et comportant une pièce d’eau centrale. Mais le jardin ouvrier des XIX et XXème siècles mélange lui aussi agrément et production. On y trouve des allées bordées de fleurs, des bordures ou bien des éléments de décoration faits de tuiles. Le potager veut provoquer chez son visiteur le plaisir visuel.

Factures anciennes

Après la seconde guerre mondiale, le potager traine une mauvaise réputation, le faisant passer pour ringard et archaïque. Il renvoie à une image de pauvreté, puisque l’apogée du jardin potager correspond à la seconde guerre mondiale, et lie ce jardin à l’idée de pénurie. De plus, alors qu’on emploie l’expression « bête comme chou », l’expression « bête comme buis », elle, renvoyant au jardin paysager ne sera jamais employée. Donc le potager s’affiche pendant les Trente glorieuses comme une culture casanière relevant du routinier et de l’archaïque dans un contexte d’économie de marché.

Il y a trente ans, on annonçait la mort du potager. Les jardins ouvriers sont alors remplacés par des projets d’urbanisme. Dans les agglomérations parisiennes et lyonnaises, dans les années 1970, un dixième seulement des jardins ouvriers de l’immédiat après-guerre subsistent. Les règlements de copropriété interdisent la culture et l’élevage pour des raisons de standing.

Le potager est alors réduit au monde ouvrier et à une pratique de retraité. Cependant, à la fin des années 1970, il y a un retour du potager qui accompagne un renouvellement de la pensée du fait urbain.

L’histoire du potager est toute autre si on l’inscrit dans la longue durée. C’est une histoire de la modernité que l’on mène alors, hybridation et sélection se trouvant au cœur de l’activité menée dans les potagers. L’artichaut est, par exemple, un légume issu d’un chardon sauvage méditerranéen, et créé après un siècle de travail de sélection mené dans les potagers.

Les plantes américaines font elles aussi un passage dans les potagers, véritable purgatoire agricole. Le potager est lieu où l’on teste et l’on adapte les plantes. La pomme de terre ou la tomate sont d’abord passées par le potager. La tomate en effet a d’abord été cultivée comme une curiosité. Elle provoque alors la méfiance : est-ce un fruit ou un légume? Sa consistance est inconnue et sa saveur forte. Son odeur semble d’ailleurs être un signal divin de son caractère non consommable.

Enfin, le piment fait une arrivée trop tardive dans les potagers européens pour être consommé, dans un contexte général de rejet des aromates.

Le potager est un lieu de concurrence international dans le domaine de l’alimentation. Des serres chauffées dédiées à la culture de l’ananas apparaissent dans les potagers royaux de France et d’Angleterre au XVIIIème siècle. Louis XV est fier d’être le premier à réussir cette culture sous serres à tel point qu’il demande un portrait de cet ananas à son peintre officiel en 1733.

Le potager est donc un lieu de modernité où l’on pratique l’art de forcer la nature. Le ménagier de Paris, traité de la fin du XIVème siècle, évoque la façon d’obtenir des fèves le plus tôt possible dans l’année. Pratiquer l’horticulture, c’est donc domestiquer la nature. Le bon jardinier montre donc sa compétence technique. Le jardin est un lieu d’innovation sauf pendant les « Trente Glorieuses ». Il y a enfin une autre rupture à la fin du XXème siècle où le potager devient le lieu de collection de variétés anciennes de légumes. Mais les jardins potagers des XVII et XVIIIème siècles sont des lieux dont l’esprit est proche de celui d’une parcelle OGM de l’INRA.

Aujourd’hui, la nouvelle conception d’un potager renverrait à la nature, alors que le jardin potager est non naturel. La terre y est bêchée, engraissée, plantée, arrosée et désherbée. Le jardin n’est pas un lieu naturel même s’il a une image de réserve protégeant la nature. Les légumes aujourd’hui sont issus de plusieurs siècles de sélection. 

Etymologiquement, le potager fournit les légumes du pot. C’est une alimentation quotidienne, ordinaire et peu connue par l’histoire. On connaît surtout les festins. Il faut donc avoir à l’esprit les notions de faim et d’abondance pour comprendre le potager. 

À côté des légumes, le potager contient aussi des petits fruits : framboises, groseilles, petites fraises. On trouve également des simples, plantes médicinales et aromatiques et des fleurs. Le petit élevage également ne doit pas être oublié. Le potager s’intègre dans l’économie domestique. Le jardin potager est nourricier. Il y a un lien entre la maison et le jardin qui la nourrit, mais aussi la maison qui nourrit le jardin par ses déchets domestiques enrichissant la terre. Lorsque les maisons s’organisent autour d’une pièce paysanne, il y a unicité du jardin. Puis avec la multiplication des pièces, le jardin est repensé et divisé entre potager, verger et ainsi de suite…

Pour conclure sur le potager, il faut le considérer comme jardin de propreté. Il est dès le Moyen-âge le lieu de la propreté. Cette notion est à comprendre différemment selon les périodes. C’est une propreté morale que cultivent les moines et les ermites. A l’époque moderne, c’est une propreté pour montrer son éducation, qu’on est un gentilhomme. La propreté, c’est l’élégance. Au XIXème siècle, la propreté du jardin ouvrier fait délaisser les cabarets et être un bon travailleur. C’est un loisir utile et productif à la classe ouvrière, qui n’est pas oisive. 

Enfin, la propreté aujourd’hui, c’est celle d’un jardin qui n’utilise pas d’engrais ou de pesticides. C’est un espace qui s’oppose au marché encore aujourd’hui où les jardiniers justifient leur activité par l’idée que l’on sait ce que l’on mange.